ROSANVALLON: L’ELEZIONE DI MACRON RIDEFINISCE LO SPARTIACQUE FONDAMENTALE DELLA POLITICA

Le vicende che hanno accompagnato la successione alla Presidenza della Repubblica francese evidenziano, oltre a una marcata personalizzazione del confronto politico che eclissa il ruolo dei grandi partiti, anche un nuovo assetto del discrimine politico principale, che fin qui si era basato essenzialmente sulle nozioni di destra e di sinistra

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Intervista a Pierre Rosanvallon, professore di Histoire Moderne et Contemporaine du politique al Collège de France di Parigi, a cura di Gérard Courtois,
pubblicata da le Monde il 16 giugno 2017 sotto il titolo L’élection de Macron redéfinit le clivage droite-gauche – Gli altri documenti e interventi in argomento disponibili su questo sito sono accessibili dal portale Il nuovo spartiacque della politica mondiale    .
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L’arrivée au pouvoir d’un président qui se revendique et de droite et de gauche rebat les cartes d’une opposition séculaire qu’analyse l’historien et sociologue. L’élection présidentielle de 2017 a été marquée par une série de phénomènes inédits dans l’histoire politique française contemporaine: l’élimination au premier tour des deux grands partis – droite républicaine et Parti socialiste – qui se succédaient au pouvoir depuis des décennies; l’émergence d’un homme, Emmanuel Macron, et d’un mouvement, Enmarche!, qui transgressent tous les codes traditionnels de la vie politique; une personnalisation sans précédent du pouvoir exécutif… Nous avons demandé à l’historien Pierre Rosanvallon de replacer ces changements dans la longue durée de l’histoire du système démocratique.

Rosanvallon

Lo storico della politica Pierre Rosanvallon

Quels enseignements tirez-vous del’élection d’Emmanuel Macron?
Elle traduit indéniablement un triple basculement historique dans la structuration de la vie politique française. D’abord, elle s’insère dans une redéfinition des clivages organisés autour des notions de droite et de gauche. Ensuite, elle accomplit le mouvement engagé depuis plus d’un demi-siècle de personnalisation de la vie politique. Enfin, elle traduit l’émergence d’une nouvelle façon qu’a la société française de se représenter elle-même. En revanche, deux évolutions sont beaucoup plus incertaines. Cette élection signifie-t-elle que le libéralisme sort de l’état de minorité qui est le sien en France? Va-t-elle conduire à un nouveau mode de fonctionnement et d’organisation de la vie politique autour des partis, ou sans eux?

Partons du clivage droite-gauche. Comment est-il devenu le cadre légitime et structurel de la vie politique française depuis plus d’un siècle, voire depuis la Révolution?
On sait que les termes sont nés dès la Révolution, en fonction de la place prise par les uns ou les autres à gauche ou à droite du président de la Constituante. Mais si «gauche» et «droite» commencent à être employés à ce moment-là, l’idée d’un clivage droite-gauche n’a de sens véritable ni pendant la Révolution ni durant la première moitié du XIXesiècle. Les clivages qui prévalaient alors – entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, entre monarchistes et républicains – n’étaient pas au premier chef des clivages de classe. Ils s’organisaient sur la base de rapports à l’histoire de France, au sens même de la Révolution, ainsi qu’à la vision de l’ordre naturel des choses.
La première manifestation du clivage droite-gauche au sens où nous l’entendons aujourd’hui remonte à la fameuse élection législative de 1849. Un an auparavant, l’élection du printemps 1848 s’est jouée sur l’unanimité républicaine. En 1849, on voit se dessiner la carte de France des «rouges» et des «blancs», qui n’a pratiquement pas changé pendant plus d’un siècle, jusqu’à la fin des années 1970. C’est à partir de ce moment-là que la gauche et la droite prennent leur signification moderne. Elles mêlent deux éléments très différents: d’un côté une dimension sociale de représentation de certains groupes dans la société, de l’autre une dimension idéologique, c’est-à-dire un rapport à la construction de l’avenir.
Cette opposition s’est ensuite consolidée et elle restera la ligne de clivage majeure sous laIIIepuis sous la IVeRépublique, quelles qu’aient été les divisions au sein de chaque camp, notamment après la création du Parti communiste en1920. A partir de 1958, et surtout après l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel, le cadre institutionnel va entretenir la vitalité de cette opposition gauche-droite: autant l’élection parlementaire permet l’expression d’un pluralisme et d’une extension des formes partisanes, autant l’élection présidentielle conduit, au contraire, à une polarisation des forces.

Comment expliquer que ce clivage droite-gauche ait résisté à la république parlementaire qui, vous le dites, était de nature à favoriser la dispersion des forces politiques?
D’une part, il prolonge et entretient des clivages historiques anciens – entre catholiques et laïcs, entre monarchistes et républicains, ­entre ordre et mouvement – qui opposent des façons différentes, volontiers antagonistes, d’envisager la manière d’entrer dans la modernité. D’autre part, sa dimension sociale se renforce sans cesse, surtout à partir de la fin duXIXesiècle, quand il devient un conflit de classes. La gauche va être le camp de la redistribution, des lois sociales, de la régulation économique, alors que la droite va être la représentante du monde non salarié, encore très important jusqu’au milieu du XXesiècle, ainsi que de la peur du changement. Il ne faut ­jamais oublier que la mensualisation des ouvriers ne se généralise qu’après1968.

Cette structuration de la vie politique a-t-elle été remise encause au fil des ­décennies?
Oui, et depuis longtemps. D’abord à travers des formes d’un idéal technocratique selon lequel la politique n’est pas une question d’opposition partisane mais de gestion des affaires ­publiques, de choix entre de bonnes et de mauvaises solutions. C’est une ligne de fond très ancienne: la politique française repose àla fois sur la compétition démocratique et sur une administration aspirant à incarner un certain corporatisme de l’universel.
L’origine remonte à la Révolution française, avec la naissance des grands corps de l’Etat. Cette vision de l’intérêt général supérieur àlareprésentation des intérêts partisans et politiques s’est structurée très progressivement, àtravers la croissance matérielle del’Etat et le travail des grands juristes du ­service public comme Hauriou et Duguit, au début du XXesiècle. La meilleure illustration de cette tension a été la lutte, pendant un siècle, entre parlementaires et hauts fonctionnaires autour de la création d’une école nationale d’administration. Cela a été tenté pendant la révolution de 1848, débattu à nouveau pendant le Front populaire, et n’a abouti qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec la fondation de l’ENA. Jusque-là, le député était considéré comme ayant une légitimité évidemment ­supérieure à celle du haut fonctionnaire, puisque celui-ci était nommé de ­façon arbitraire.
Mais depuis les années 1980, d’autres clivages structurants sont venus bousculer, ou déborder, la traditionnelle opposition droite-gauche. Le premier se joue autour de l’idée de la souveraineté et de la question nationale. Jean-Pierre Chevènement est le premier à l’affirmer, au milieu des années 1980, quand il substitue la notion de république à celle de socialisme. La vision technocratique, c’est ni droite ni gauche. La réflexion de Chevènement conduit à penser qu’il faut non pas être au-delà de la droite et de la gauche, mais et de droite et de gauche. De gauche du point de vue social, de droite du point de vue de la conception de l’école, de la laïcité, de la souveraineté et du rapport à l’Europe. Ce dernier est d’autant plus déterminant et discriminant qu’il est au cœur de la question nationale, mais aussi de la question du protectionnisme.
A partir des années 1980, en effet, s’installe face au mouvement en profondeur de la mondialisation le clivage entre France ouverte et France fermée. Le protectionnisme émerge alors comme un mode de résolution de la question sociale. On avait déjà connu un tel épisode de social-protectionnisme, lors de la première mondialisation, entre 1890 et 1914. Mais à cette époque-là, la rhétorique populiste-protectionniste a été contrebattue par une pratique sociale-républicaine, ou sociale-démocrate: c’est le vote des premières lois sociales, la négociation des premières conventions collectives, la mise en place d’un code du travail et des prémices de l’Etat-providence. Toutes ces avancées vont ­offrir une alternative crédible aux sirènes du national-protectionnisme. Le grand problème actuel est que ne se dessine pas clairement ­l’alternative progressiste à ces dernières.
Tous ces changements ne font pas disparaître les conflits sociaux et la dimension de classe, mais ils les inscrivent désormais dans une représentation de la société également traversée par des oppositions d’une autre nature.

Pourquoi cette nouvelle représentation dela société?
Parce que la société ne se définit plus seulement par des conditions sociales objectives, mais par des situations vécues de façon plus complexe et subjective. Quelqu’un ne se définit plus simplement par le fait qu’il est ouvrier, mais aussi par le fait qu’il est chômeur ou menacé de l’être, que son fils a du mal à s’insérer, ou par les menaces sur l’emploi qui pèsent sur lui, la peur du déclassement. La langue politique traditionnelle est morte de ne pas l’avoir compris. Cela favorise les rhétoriques populistes, qui ne dévaluent la vision de classe que pour mettre en avant de façon vague et simplificatrice «les gens» ou «le peuple» dans leur simple opposition à des minorités distantes ou destructrices. C’est une autre manière de régresser dans la compréhension de la société.

Vous évoquiez, en introduction, l’hypothèse que la victoire d’Emmanuel Macron signifie la fin de l’antilibéralisme. Pourquoi le libéralisme, en France, a-t-il été à ce point disqualifié?
Au XIXe siècle, le libéralisme a d’abord été disqualifié pour des raisons sociologiques, parce qu’il était l’incarnation d’une société d’individus. Il était donc voué aux gémonies par le mouvement socialiste naissant, et il ne faut pas oublier que le mot socialisme a été inventé par Pierre Leroux [1797-1871] pour faire pendant à celui d’individualisme. Mais en même temps, il était récusé par les contre-révolutionnaires, pour qui la société n’est pas un contrat mais un ordre naturel. Cet antilibéralisme a été prolongé durant l’entre-deux-guerres par une critique économique du libéralisme. Beaucoup estimaient alors qu’il appartenait au passé. Aleurs yeux, le monde moderne était celui de l’organisation rationnelle, de la planification, auxquelles le marché ne pouvait pas répondre. Or cette critique du libéralisme, qui a pris la forme du keynésianisme, a été très prégnante jusque dans les années 1980. D’abord anthropologique, puis économique, l’antilibéralisme est ensuite devenu social, avec le dévelop­pement de l’Etat-providence et la socialisation de la responsabilité.
Ces piliers de l’antilibéralisme se sont en partie effondrés. D’une part, plus personne ne pense aujourd’hui que la planification soit la solution; le problème n’est plus de récuser l’économie de marché mais de l’encadrer et de la réguler. D’autre part, la crise de l’Etat-providence a reposé la question de la responsabilité individuelle et de l’effort personnel. En revanche, il y a un extraordinaire retour de la critique anthropologique du libéralisme. L’opposition est très forte entre ceux qui pensent que c’est un grand progrès d’avoir une société d’individus singuliers et ceux pour qui la société d’individus signifie la dissolution sociale. C’est l’attitude de tous ceux – des plus traditionalistes jusqu’à un philosophe comme Marcel ­Gauchet – qui critiquent la société du libre contrat entre les individus au motif qu’elle ­détruit les institutions.
C’est aujourd’hui une question ouverte pour la société française: veut-elle valoriser le libéralisme comme une culture de l’individu auquel la société fournit les moyens de son autonomie, ou promouvoir le libéralisme du chacun pour soi? Mais c’est également une question posée à Emmanuel Macron, libéral en économie mais dont, pour le reste, la philosophie politique paraît indéterminée dans l’ordre social.

La récente campagne présidentielle ­présage-t-elle un nouveau fonction­nement de la démocratie?
Ce qui m’a frappé, dans cette campagne, c’est qu’elle ait été un moment d’intense personnalisation mais d’une aussi faible expérimentation démocratique. Ceux qui ont été les vecteurs de cette personnalisation n’ont pas cherché à la compenser par l’étude de nouvelles formes politiques. Certes, Enmarche! a mené une sorte d’enquête auprès des Français, mais c’est resté très général. De même pour l’usage des réseaux sociaux par Mélenchon. On est loin des discussions nourries, menées ces dernières années, sur la recherche de nouvelles formes délibératives ou participatives associant les citoyens.
L’autre constat, c’est celui de l’épuisement de la forme des partis traditionnels. Historiquement, ces derniers avaient une double fonction d’organisation du suffrage universel et de représentation de la société. Or l’une et l’autre se sont singulièrement érodées: les partis ne représentent plus depuis longtemps les catégories sociales, ils n’en sont plus les porte-parole parce que la société n’est plus seulement ­constituée à partir de quelques grands blocs ­sociaux comme le salariat, les ouvriers, les ­employés, les cadres… mais à partir de situations sociales beaucoup plus complexes et mouvantes. Quant à leur rôle d’organisateurs de la démocratie, ils sont concurrencés par des mouvements d’un type nouveau, comme ceux de Macron ou de Mélenchon.
Enfin, l’élection de Macron renforce la personnalisation du pouvoir, longtemps perçue comme une perversion de la démocratie. Dans la vision républicaine, la bonne démocratie, c’est l’impersonnalité: le pouvoir doit être col­légial, donc parlementaire. C’est une idée fondamentale de la Révolution. Gambetta l’amplifiera à la fin du XIXesiècle en disant que tout bon démocrate doit se méfier des personnalités excessives. La montée en puissance du pouvoir exécutif a profondément changé ce rapport à la personnalisation. La VeRépublique n’a pas été une exception rétrograde, elle a au contraire anticipé un mouvement général de présidentialisation des démocraties, qu’il y ait ou non élection présidentielle. L’élection de Macron, c’est le triomphe de cette personnalisation puisque les candidats des partis traditionnels ont été écartés par ceux qui se définissaient comme les catalyseurs directs d’une aspiration populaire, qu’il s’agisse de Macron, Mélenchon ou LePen. On est passé d’une logique de représentation dela ­société à une logique d’identification.

Vous avez estimé, notamment à l’occasion de l’affaire Richard Ferrand, que le soupçon mine la démocratie. Qu’entendez-vous par là ?
Les Français sont très sensibles à la question de la responsabilité politique. C’est pour cela que, dans l’épisode récent concernant Richard Ferrand, son attitude a été scrutée à la loupe. Celles du président de la République et du premier ministre également. La responsabilité politique consiste, pour un responsable public, à prendre sur soi pour purger la défiance née des soupçons ­provoqués par certaines ­informations sur son comportement. Et pour cela à démissionner. La responsabilité politique implique la reconnaissance par ceux qui ont des fonctions politiques qu’il est de leur devoir d’être ceux qui payent, parfois, le prix du soupçon pour restaurer la ­confiance dans la démocratie. Au prix même de ce qui peut être ressenti comme une « injustice » quand il n’y a pas de délit à proprement parler. Ce sont, à la limite, de nécessaires victimes expiatoires dans une société où l’opinion est aussi gouvernée par des passions qui se nourrissent des inachèvements de la démocratie et du manque de vertu des élites.
Car la démocratie repose sur la confiance, c’est-à-dire sur la possibilité de faire une hypothèse sur le comportement futur de quelqu’un. La confiance a une dimension cognitive : ce qu’on sait de la personne permet de préjuger de son comportement futur ; si l’on découvre que ce que l’on sait est incomplet ou erroné, cela ne peut que rompre la confiance et créer le trouble. Je trouve terrible que le premier ministre ait déclaré que les électeurs seront juges du sort de M. Ferrand. Cela témoigne d’une complète incompréhension de ce que veut dire la responsabilité politique. De même pour le président de la République, lorsqu’il assure qu’il faut soutenir un ministre mis en cause aux yeux de l’opinion dès lors qu’il n’est pas mis en examen par la justice. A côté de l’arbitrage de l’élection et de l’office des juges, la démocratie a en effet besoin de ce ­troisième pilier, qui ne peut ­évidemment pas être institu­tionnalisé. Ce n’est pas compris en France, alors que ça l’est au ­Royaume-Uni.
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